Dans une déclaration en date du 22 avril 2023, le magistrat Dramane Diarra répond au communiqué du ministre de la Justice diffusé le 20 avril 2023 sur l’ORTM. Dans sa réaction, le magistrat Dramane Diarra a indiqué avoir pris connaissance du communiqué du ministre, non daté, lu sur les antennes de l’Office de radiotélévision du Mali (ORTM), au moment où la population malienne avait déjà entamé la célébration de l’Aïd el-Fitr. “Quel était votre dessein ?”, s’est-il interrogé.
Au-delà de la réaction de l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP) et de la Référence syndicale des magistrats (Refsyma) dont je suis membre et dont la réaction commune m’engage, j’ai l’opportunité de réagir aux aspects qui me concernent : l’avertissement du directeur national de l’administration de la justice, sensé n’avoir jamais été à mon encontre, au regard de la qualité de son auteur dont je ne relève pas, et cette enquête administrative instruite par vous à l’Inspection des services judiciaires pour des faits d’ordre disciplinaire qui échappent à la compétence de ce dernier service”, a-t-il dit.
Par rapport à l’avertissement, Dramane Diarra a rappelé qu’il avait déjà averti le ministre de l’illégalité de sa saisine et de l’incompétence de l’Inspection des services judiciaires. Il a rafraîchi la mémoire du ministre par un passage de sa réaction en date du 3 novembre 2022. “… En effet, si vous avez vu ou reçu ce rapport de l’Inspection des services judiciaires dont vous vous accaparez, sans discernement, les conclusions, vous devriez avoir constaté que ni le rapport, ni les procès-verbaux le constituant ne portent ma signature. Pour cause, j’ai relevé l’incompétence de l’Inspection des services judiciaires à vouloir m’entendre, intuitu personae, en dehors de mon service qu’est la direction nationale des affaires judiciaires et du sceau et l’illégalité de sa saisine par Monsieur le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, au moyen des observations transmises à Monsieur l’inspecteur en chef des services judiciaires à la date du 16 février 2022 (document joint)”, a-t-il rappelé.
Concernant la mission d’enquête administrative que le ministre a commanditée auprès de l’Inspection des services judiciaires sur des faits disciplinaires relevant de la compétence du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et non de l’Inspection, donc illégale, Dramane Diarra a déploré la confusion de genres dans laquelle le ministre excelle depuis sa nomination comme ministre chargé de la Justice. “En effet, vous aviez un parcours administratif négligeable, un passé associatif insignifiant, mais de là à observer l’amalgame que vous faites depuis, entre les institutions comme la Cour suprême et le gouvernement s’est révélé tragique pour la justice malienne. Votre association avec les premiers responsables de la Cour suprême s’est traduite par des violations flagrantes des lois de la République : – la loi organique fixant organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle pour le décret de révocation du 1er avocat général d’alors Cheick Mohamed Chérif Koné ; – l’ordonnance modificative de la loi portant statut de la magistrature, au mépris de l’égalité des magistrats affirmée dans la Constitution et dans le statut de la magistrature, pour proroger de trois ans l’âge de départ à la retraite pour seulement deux personnes, vos compagnons d’infortune : le président et le procureur général de la cour suprême contre l’ensemble de la justice, debout comme un seul homme ; – la collision entre vous et ces deux premiers responsables de la cour suprême dans la procédure illégale contre feu Soumeylou Boubèye Maïga, Bouaré Fily Sissoko et autres, dont les suites pourraient vous concerner, au moins, pour non-assistance à personne en péril punie d’un emprisonnement d’un mois à trois ans ou d’une amende de 24 000 à 1 million de francs, peines portées au double lorsque l’infraction résulte d’une violation des obligations imposées par la fonction, la profession ou le métier, comme cela semble être le cas, et où, en tout état de cause, la peine prononcée ne peut être inférieure à un mois d’emprisonnement ferme. (Articles 220 et 221 du Code pénal). Rien qu’avec ces exemples, vous ne vous rendez pas compte, à présent, de tant de maux que vous avez infligés à la justice de notre pays au lieu d’aller dans le sens de sa refondation dont dépend celle du pays entier. Mieux, vous avez laissé prospérer les violations les plus graves : atteintes graves aux règles de procédure, abus notoires de droit, détentions illégales et arbitraires, absence de diligence, entre autres, constituant par ailleurs des fautes professionnelles, des infractions, y compris criminelles, et des fautes disciplinaires, qui ont fini par révéler au monde entier, l’état avancé de putréfaction de notre justice. Au lieu de chercher à œuvrer dans le bon sens, vous êtes dans des petits arrangements et des complaisances à l’égard du politique pour prolonger votre séjour à la tête du département de la justice, ou dans des conflits personnels et mesquins pour régler des comptes qui n’ont trait qu’à votre ego, à travers des procédures aussi fantaisistes qu’illégales”, a-t-il souligné.
Le magistrat Dramane Diarra a demandé au ministre ce qu’il a fait depuis le mardi 7 septembre 2021, date de la dénonciation de faits de forfaiture et complicité faite par le 1er avocat général d’alors de la Cour suprême Cheick Mohamed Chérif Koné au procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de la Commune VI du District de Bamako ? “Ah, sauf qu’il y’a lieu d’admettre que la complicité pourrait vous atteindre. Monsieur le ministre, nous vous plaignons, car vous êtes le seul à ne pas se rendre compte du danger devant lequel vous avez conduit notre justice, et toute son institution avec”, a dit le magistrat Diarra.
Revenant sur la procédure d’enquête administrative qu’il trouve illégale et de laquelle le ministre a conclu à une éventuelle opposition à l’autorité légitime, relevant pourtant de l’enquête judiciaire, Dramane Diarra a dit que le ministre administre à la face du monde son ignorance de la différence entre une enquête administrative et une enquête judiciaire. “Nous y reviendrons quand vous comprendriez cette différence. Mais d’ores et déjà, vous nous donnez la matière, les éléments moral et matériel de l’infraction de dénonciation calomnieuse, à travers votre communiqué de la honte et du désespoir, que nous ne manquerons pas d’exploiter. Monsieur le ministre, à quoi avez-vous servi finalement ? De par votre immaturité, vous avez ramé contre l’indépendance de la justice et de la magistrature d’une part, si vous ne les avez pas asservies, et d’autre part, vous avez mal conseillé le politique (projet de Constitution, lois d’amnistie et l’approche générale de la justice par le gouvernement) qui a enchaîné mauvais choix et perceptions. La justice est rendue au nom du peuple, elle est donc la chose du peuple.
Puisque vous avez enfoncé la justice dans le gouffre, au lieu de vous dédier à son redressement, vous envisagez lui porter le coup fatal. Mais le peuple et les autres acteurs de la justice sauront jouer leur partition. En tout cas, tel semble être l’unique choix pour les justiciables que nous sommes”, a-t-il sermonné le ministre.