D’habitude, la mise à la retraite prend toute une vie active, mais dans un Mali aux affres d’une guerre par procuration, ses insurrections de 2020 ont abouti à la mise à la retraite d’Ibk et de ses commis en une demi-heure. La fin de régime (coup d’État) qui a été annoncée a été régulièrement renvoyée aux calendes démocratiques parsemées d’octroi de cabinet d’ex-président et de cogestion avec la nomenclature Rpm et autres dérivés Adema. Le coup d’État n’a commencé à voir le jour que récemment avec le projet de nouvelle Constitution et ses préparatifs de référendum constitutionnel. Ainsi la mise en retraite la plus rapide et le coup d’État le plus long !
Le présent article ne vient pas décrire ce film connu de tous les maliens, mais vient sonner l’alarme du danger de révision constitutionnelle dans un pays en guerre et sous occupation et offrir l’occasion aux autorités de se ressaisir surtout quand l’espoir des gens est à vif ! Il faut bien rappeler le proverbe mandé que djigi latigé mandi mansa ba yé (la rupture d’espérance ne convient pas à un chef) ! D’évidence, le meilleur partenaire des autorités maliennes, mieux encore que la Russie ou les panafricanistes, c’est le peuple malien dont les espérances ont servi de points de ralliement des populations à ses colonels, et ainsi engagé sur la voie insolite du poisson qui verra que l’hameçon appâté n’était pas prévu pour son alimentation ou de la voie d’embûches du troupeau de moutons vers l’abattoir… ! Dans l’un et l’autre cas, notre sagesse immémoriale nous enseigne que prendre des décisions à l’insu du partenaire amène à la trahison !
Il est vrai que la présente Constitution déclare urbi et orbi que le coup d’État est “un crime imprescriptible” et que la Charte de la Transition qui a vite déclaré inéligibles aux élections ses dirigeants n’est plus commode au goût du jour ! Mais de là à se tailler une convenance sur mesures en une révision constitutionnelle – ou sa feinte de “nouvelle” Constitution – paraît un peu gros pour la quête de légitimité d’un groupe, fût-il de colonels sauveurs, quand elle fait perdre sa souveraineté à tout un pays ! En effet, on ne doit pas tuer une mouche qui se pose sur le canari d’eau avec le bâton que l’on tient à la main sous peine de priver toute la famille d’eau ! Il faut voir que c’est la pleine réalisation par les populations maliennes que “l’Accord d’Alger” ne doit pas réviser la Constitution mais s’adapter à elle, et non le contraire, qui a mené au chemin de croix et de croissant des journées épiques du M5-RFP ! Un “accord” que même l’Assemblée nationale n’a pas discuté ni d’ailleurs une bonne partie du gouvernement d’alors, dont le ministre des affaires étrangères l’ayant préparé et signé est dans le même rôle gouvernemental actuel et veut convaincre de lutter pour le peuple. C’est aussi le même ministre porte-parole du gouvernement d’alors qui est premier ministre actuel et veut convaincre de l’application intelligente de “l’accord”.
Feu Ibk (paix à son âme !) a été mis à la retraite anticipée pour ne l’avoir pas appliqué conformément aux ordres et les coups de force ou de simulacre se succèdent à la tête du Mali pour son application intelligente ! Il faut dire que les régimes “démocratiques” de jadis sont tous passés par la tentation de la révision constitutionnelle mâtinée de l’instrumentalisation de la “rébellion touarègue” pour leurs désirs de prolongation, mais s’y sont tous piqués en s’y frottant ! La vérité est qu’on ne doit accuser personne d’être contre un “Accord” qui a été uniment rejeté par le peuple malien, ce qui explique que personne n’ait osé le faire discuter et a fortiori n’a pu être ratifié par les élus ! La mise en popularité des colonels actuels par le bras de fer avec la France et ses alliés ne doit pas être gaspillée inconsidérément par agir sous dictée. En effet, les maliens savent que rien ne survit à la mort que le nom c’est-à-dire la réputation. À quoi sert-il d’avoir les mains pleines de pouvoir et le ventre plein de privilèges aujourd’hui et avoir toute sa lignée bannie à jamais de toute considération par ses semblables ? Ceux à qui s’appliquent l’épithète de communauté internationale doivent se rendre compte de la futilité de brandir l’épée, takouba, peule ou de Damoclès inutilement sur des têtes maliennes qui ne font que les aider en leur disant tout haut ce que les maliens pensent dans leur majorité agissante ! Ce qui leur permettra d’abandonner le disque rayé de la partition du pays, des coups d’épée dans l’eau du Soudan du Sud en guerre civile interminable ou des dangers de l’étouffement insidieux ukrainien… De toute façon, plus on pousse ses affidés dans des retranchements impossibles à tenir, plus forte et durable sera la morsure de la chèvre acculée (ba degounen be kinin ke) !
Les maliens ont été assurés en août 2020 puis en mai 2021 de la conclusion par l’armée de sa lutte insurrectionnelle avec le M5-RFP et ont été témoins de la mise à la retraite anticipée de Ibk. Ils attendent depuis, le changement de régime que signifie le coup d’État dont on a déjà puni leur pays ! En attendant, ils furent traités aux annonces de rupture avec une France perçue comme belligérant notoire dans la crise qui secoue leur pays : de la dénonciation de l’abandon en plein vol, à l’expulsion de son ambassadeur et relais de presse RFI et France 24, au départ de ses troupes, aux invectives diplomatiques, etc. Les émotions des maliens furent détendues et leur engouement perceptible du soulagement ainsi ressenti ‘d’allègement’ du poids de la longue série de violence, de deuil et d’humiliation subis. Cette perception est cependant en butte à plusieurs ralentisseurs de rêve sinon de début de cauchemar.
D’abord la négociation unilatérale avec la Cedeao quand le peuple entendait mieux se serrer la ceinture était ressentie comme se compromettre avec des belligérants aux ordres de l’ennemi et renoncer à la discipline acquise de résistance contre les sanctions et la conjoncture économique mondiale des chocs post-Covid 19 et d’Ukraine. Ensuite cette négociation par l’ami de caserne a rappelé la déduction logique qu’avec l’ami de l’ami de mon ennemi, qui a besoin d’ennemis ? De plus, l’adoption in petto et abrupto d’une loi électorale n’excluant pas les fraudes tout en souscrivant au déroulé électoral malgré le pays majoritairement occupé, à quelques îlots urbains près, rappelle qu’on reste sous le règne d’injonctions extérieures, même ennobli par l’appellation de “communauté internationale”, au lieu de la souveraineté acquise que chacun aspire à croire… Elle rappelle aussi un premier ministre des illusions de rupture (abandon en plein vol) en faire-valoir de M5-RFP car ses efforts d’originalité ont été brusquement désavoués… D’ailleurs le destin de la maladie puis d’une succession à la tribune de l’Onu plus forte et plus tranchante, a édifié plus d’un que le temps de l’air a donné la place à l’air du temps !
Enfin et plus fondamentalement, la phase d’application de tout ceci avec la nouvelle Constitution, même si on a pris les précautions usuelles de distraction avec les langues nationales, la laïcité, le sénat, etc., vient rappeler tout le danger couru d’un pays qui veut changer sa loi fondamentale quand il est en guerre et qu’il est occupé. Il est clair à tous que c’est la voie royale et le moment rêvé de faire passer en douce les desiderata des insurgés et de leurs maîtres dans la Constitution ! Pour garder les pieds sur terre, il ne faut point demeurer au seul texte de l’interdiction de révision constitutionnelle par l’article 118 ou toute réplique maladroite voire idiote qu’il s’agirait plutôt de nouvelle Constitution, mais avoir le courage et l’honnêteté de voir l’argument de bon sens dont il s’agit : la case dont le toit brûle inscrit sa propre priorité d’éteindre d’abord le feu avant d’élaborer sur qui de la femme, de l’homme ou des enfants, fait quoi, par quelle langue, dans quel sanctuaire, mosquée ou église ils pourront remercier le dieu qui les inspire à éteindre ce feu… !
Tout ce qui n’a pu être accompli par les détentes d’émotion ci-dessus a pu l’être avec l’alliance avec la Russie dont les effets d’annonce ont soulagé plus d’un que la longue nuit des souffrances va bientôt prendre fin. Les drones, les radars, les hélicoptères et les avions de combat ont rendu tous heureux, les coups de main pour éconduire les groupes armés malfaiteurs ont rendu plus heureux encore, jusqu’à ne pas encore disqualifier le slogan de “l’armée monte en puissance” en face des dénonciations des commandants Meite et co., du rasage et incendie de Kani Bonzon, des ravissements de personnes et vols de cheptel, etc. Tout ceci vient relativiser les libérations comme à Moura ou à Farabougou où les groupes armés succèdent à l’armée pour punir les populations collaboratrices… Et sans parler de toutes ces écoles fermées et services publics interdits qui sont le plus sûr moyen futur de déverser des hordes de jeunes dans les rangs des enfants soldats…
Mais il s’agit seulement de l’idée de soulagement car les troupeaux de milliers de bœufs sont toujours ravis et des villages et récoltes toujours brûlés. Jusqu’où ira cette criminelle mais inutile pression de chantage à la réforme institutionnelle de tout un pays pour satisfaire la gloutonnerie de quelques pays et multinationales puissants de se tailler une enclave minière au nord du Mali ? Il est temps de remplacer cet aveuglement par la clairvoyance de négocier avec les dignes fils d’un pays qui a conscience de lui-même. Il est temps d’assurer le service après-vente d’extinction des incendies de la campagne de Libye ! C’est seulement récemment que les maliens ayant vu la mise à la retraite rapide de Ibk, assistent finalement au coup d’État pour lequel ils avaient été indûment punis grâce au putsch de l’application de “l’Accord d’Alger” par une subreptice révision constitutionnelle, un nouveau découpage administratif sans consultation des intéressés et un calendrier électoral d’accompagnement à l’abattoir démocratique ! On peut encore éviter le yabé 2012 de Mylmo (djigi tigé – espoir faussé), un yabé démocratique de marquer contre son camp, ne se répète en un yabé militaire ! Le tout dans le désintérêt voire le mépris de la situation de guerre et d’occupation d’un pays qui se convulse et se consume, une case dont le toit brûle… !