Selon des chiffres de l’Institut national de la Statistique, plus de trois femmes sur quatre (77 %) sont mariées avant l’âge de 18 ans.
Le mercredi 15 mars dernier, une douzaine d’organisations féminines du Niger s’étaient insurgées contre la mort, cinq jours plus tôt, d’une jeune fille victime d’un « mariage forcé » dans la région de Zinder, au sud-est du Niger. « C’est avec effroi que nous avons appris qu’une jeune fille, Nazira, âgée de 16 ans, élève au niveau collège, s’est donnée la mort dans la commune de Matamèye, département de Kantché, région de Zinder, le vendredi 10 mars 2023 », ont indiqué lesdites organisations.
« Nous sommes profondément attristées par la perte tragique de la vie de notre jeune sœur qui a été victime de mariage d’enfants, mariage forcé », ont-elles ajouté, précisant que la jeune fille « ne voudrait pas de ce mariage ».
Appelant le gouvernement nigérien au respect de certains traités et conventions garantissant les droits à tous les enfants, ratifiés par le Niger, les organisations féminines ont indiqué que des enquêtes ont montré qu’au Niger, de nombreuses jeunes filles « sont mariées avant leur dix-huitième anniversaire, alors qu’elles devraient être à l’école ». Elles ont, en outre, exhorté « le gouvernement à adopter des lois et des politiques garantissant les droits fondamentaux des femmes et des filles ».
Dans un communiqué publié le lundi 04 avril, l’ONU a déploré la mort de la jeune Nazira, estimant que « les filles ont le droit d’être protégées contre le mariage précoce au Niger ». Selon la même source, une autre fille victime d’un « mariage forcé » a failli se donner la mort, quelques jours plus tard, dans la région de Maradi, au centre du Niger.
Relevant qu’au niveau législatif, « il y a encore une loi qui autorise le mariage des jeunes filles à partir de 16 ans », l’ONU a indiqué que le mariage précoce est « un problème de société au Niger ».
– Des chiffres inquiétants
Selon une étude de l’Institut national de la Statistique, « plus de trois femmes sur quatre (77 %) étaient déjà en union en atteignant 18 ans exacts », ce qui fait du Niger l’un des pays où le mariage des enfants est le plus courant.
« C’est inquiétant d’entendre que près de sept (07) filles sur dix (10) sont mariées avant d’avoir 18 ans au Niger. Ces filles n’ont aucune chance d’aller à l’école et d’avoir un avenir promoteur », a protesté Aminatou Seydou Allakaye, présidente du groupement « Bien-être femme et enfant », dans un entretien accordé à Anadolu. « Le phénomène du mariage précoce persiste surtout en milieu rural où les parents décident de donner leurs filles en mariage sans avoir besoin de l’avis de ces dernières », a-t-elle ajouté.
« En plus du traumatisme psychologique qu’il provoque chez certaines, le mariage précoce est aussi à la base de certaines maladies dont souffrent les jeunes femmes au Niger, notamment la fistule obstétricale. Il y a beaucoup de femmes qui ont contracté cette maladie et qui ont malheureusement été abandonnées par leurs maris qui ne supportent plus de vivre avec elles », a expliqué la présidente du groupement « Bien-être femme et enfant ».
Le code civil en vigueur au Niger fixe l’âge légal du mariage de la jeune fille à 16 ans. Selon le Fonds des Nations unies pour l’Enfance (UNICEF), le fait de marier une fille avant l’âge de 18 ans est assimilable à un « mariage forcé » et constitue une violation de ses droits.
Nous avons tenté, en vain, d’avoir la réaction du ministère de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’enfant concerné par cette question du mariage des jeunes filles.
– Des facteurs socioculturels et économiques
Pour la sociologue et enseignante au département communication de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Niamey, Dr Aissata Moussa Lemay, il y a au moins deux facteurs qui sont à la base des mariages précoces et forcés des jeunes filles au Niger.
« Le premier facteur est d’ordre socioculturel, c’est à dire que pour préserver l’honneur de la famille, les parents préfèrent donner très tôt leurs filles en mariage avant que celles-ci n’aient des grossesses hors-mariage considérées comme un véritable déshonneur », a-t-elle expliqué à Anadolu.
« Le deuxième facteur est d’ordre purement économique : dans une famille à faible revenu, donner une fille en mariage peut être considéré comme une charge de moins pour les parents. Et au cas où le gendre a un bon revenu, la famille de la fille peut légitimement s’attendre à être soutenue », a poursuivi la sociologue.
– Des internats dans les écoles
Tous les gouvernements nigériens de ces dernières années ont fait de la lutte contre les mariages précoces et forcés des jeunes filles un de leurs axes de gouvernance. Ils ont toujours tenté de lutter contre ce phénomène en s’appuyant sur les leaders religieux et les chefs traditionnels du fait de leur influence sur les populations. Mais du fait des facteurs évoqués plus haut, les mariages précoces et forcés semblent avoir la vie dure. Depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans, l’actuel Président nigérien Mohamed Bazoum semble trouver une autre démarche supplémentaire : la création d’écoles dotées d’internats pour les jeunes filles.
“Dans nos pays, un enfant non scolarisé ou précocement déscolarisé à toutes les chances d’être un pauvre. Une telle fille, en plus de devenir une adulte pauvre, constitue très tôt un foyer de production d’enfants appelés à être à leur tour des pauvres. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de promouvoir un programme de construction d’internats pour les jeunes filles dans les collèges ruraux en vue d’accroître les chances de leur réussite à l’école”, avait indiqué Mohamed Bazoum à l’ouverture du 3ème Sommet des filles africaines tenu en novembre 2021 à Niamey. “L’éducation est le moyen le plus sûr d’arracher les filles à la violence des mariages précoces et des couches dangereuses”, avait-t-il expliqué. Certains internats pour les jeunes filles sont déjà opérationnels dans plusieurs localités du Niger.
Niger
AA/Niamey/Salif Omar