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Au Sénégal, « Chanel est venu nous rappeler que nous avons du talent »

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La marque présente à Dakar une exposition sur l’artisanat d’art qui reviendra à Paris en mai. Cette délocalisation est l’occasion d’ouvrir un dialogue entre les savoir-faire français et sénégalais.

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Ressusciter des pans du Dakar historique ou du Sénégal d’hier… Khadija Ba Diallo nourrit de ce rêve chacune de ses créations, persuadée que travailler sur le passé aide à dessiner l’avenir et assoit un peu plus la fierté africaine. La styliste sénégalaise ne savoure rien tant que l’œil humide d’un ancien redécouvrant sur ses objets le logo d’Air Afrique – la grande saga aéronautique du continent – ou ses boîtes de conserve Pinton remplies d’un tee-shirt à la place de la traditionnelle pâte de sardines des fins de mois. A la tête de sa marque, L’Artisane, la styliste, titulaire d’une maîtrise en droit des affaires et d’un MBA en management des marques de luxe, se sent comme une passeuse, elle qui « aime couper à l’ancienne des étoffes modernes » et dont la pièce maîtresse reste la modernisation des boubous de son grand-père.

A l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), en marge de l’exposition « 19M Dakar », quelques-unes de ses créations racontent par l’exemple combien la transmission est un enjeu, à Dakar comme à Paris. Dans les deux capitales, cette problématique s’impose dans des contextes très différents. Fort de ce constat, Bruno Pavlovsky estime avoir « beaucoup à partager, à créer ensemble pour que tout le monde s’enrichisse de l’échange et de la circulation des idées ». C’est par ces quelques mots que le président des activités mode de Chanel résume l’esprit de la délocalisation du 19M, une structure d’artisanat d’art placée sous sa présidence.

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Inauguré il y a un an dans le 19e arrondissement de Paris, le 19M est un espace où la marque a installé onze métiers d’art et leurs 600 artisans, brodeurs, bottiers, plumiers… Ces 25 000 m2, imaginés par l’architecte Rudy Ricciotti, veulent rendre visibles les métiers de la main sans lesquels les vêtements d’exception de la haute couture ne verraient pas le jour. Du 19 janvier au 31 mars, le 19M Paris, que plus de 20 000 visiteurs ont déjà foulé, s’est délocalisé à Dakar, augmenté de travaux conjoints d’artistes et artisans d’art des deux continents. L’exposition, gratuite et ouverte à tous, rentrera ensuite en France enrichie de cette aventure.

En parallèle, en février et mars, quatre masterclasses d’une semaine réuniront autour de savoir-faire emblématiques sénégalais (botterie, cordonnerie, couture, tissage et broderie) une vingtaine d’étudiants, un artisan local, une Maison d’art du 19M et une école de chacun des deux pays (lorsque c’est possible).

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Aujourd’hui, Dakar ne compte qu’un seul centre de formation des apprentis (CFA) et les compétences ancestrales se diluent peu à peu dans une société à 50 % urbaine, où l’on n’apprend plus le métier de son père en essayant de l’imiter dans la cour de la maison. « Le tissage, par exemple, se transmettait de père en fils dans les villages. Que se passera-t-il demain si on n’organise pas très vite la formation ? », interroge Aïssa Dione, designer textile et cheffe d’entreprise dans la décoration d’intérieure, qui a travaillé pour les plus grandes griffes, à Paris et ailleurs, mais peine à recruter dans sa fabrique dakaroise.

Les « petites mains » du luxe

Pour poursuivre ce temps fort (qui intégrera une journée de réflexion avec des universitaires), Chanel va aussi installer un mécénat de compétences, un mécénat financier en lien avec le Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT) de Dakar, et proposera des bourses d’étude pour 150 jeunes. Une manière de prolonger son défilé « métiers d’art » du 6 décembre 2022, d’acter que ce n’était pas une simple parenthèse de lumières et de paillettes mais bien « un fil de plus tissé entre la France et le Sénégal », comme l’a résumé le président Macky Sall en inaugurant le 19M Dakar.

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A Paris aussi, perpétuer la tradition des « petites mains » du luxe est une gageure depuis plusieurs décennies. Chez Chanel, Bruno Pavlovsky a commencé dès 1985 à racheter des maisons d’art pour préserver leur savoir-faire, lui qui a toujours estimé que « l’avenir du luxe se trouvait là ». Et pourtant… « Il y a une vingtaine d’années, avec l’arrivée de la tech, nos manufactures ont commencé à rencontrer des difficultés à recruter, résume le président de Chanel SAS. La création d’un pôle d’attractivité avec Hermès, à Pantin, a contribué dans un premier temps à redonner de la visibilité à ce secteur, avant que les métiers de la main ne deviennent une deuxième carrière possible et que nous nous mettions à travailler directement avec des écoles. »

Si la situation s’est légèrement améliorée, le spectre d’un destin à la britannique reste dans tous les esprits. Dans ce pays riche au XIXe siècle d’un artisanat d’art, il a suffi d’un demi-siècle de délocalisations pour que les savoir-faire les plus raffinés s’évanouissent, au point que même la technique du jacquard, pourtant inventée outre-Manche, se perde là-bas dans l’oubli…

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Pour éviter de glisser sur cette pente, 17 grands noms du luxe français ont déjà créé leur école et le Comité Colbert, qui fédère 93 maisons de luxe, multiplie depuis plusieurs années les initiatives, comme celle de décembre dernier, où « un événement rassemblant les différents savoir-faire de 23 maisons de luxe et une dizaine de lycées professionnels a été organisé à Station F [un campus de start-up créé à Paris par Xavier Niel, actionnaire du Monde] », explique Bénédicte Epinay, déléguée générale du comité, ravie d’y avoir accueilli 4 500 collégiens et d’avoir réconcilié, là encore, modernité et tradition.

Un quotidien fait de débrouille

A Dakar, comme une bonne partie de la nouvelle génération de stylistes et de patronnes de marques sénégalaises, Fatima Zahra Ba manque cruellement de tailleurs et de couturiers formés et doit jongler pour honorer ses commandes, « alors que tant de jeunes sont sans emploi », regrette cette jeune entrepreneuse à la tête de la marque So’Fatoo. Comme elle, nombre de patrons observent l’orientation systématique vers des formations en sciences humaines, quand les métiers traditionnels se perdent et rendent nécessaires les importations de biens de consommation.

Formée au Maroc, Fatima Zahra Ba a pensé un produit correspondant aux envies et aux besoins du marché. D’abord imaginée pour elle, sa longue robe pudique, dont elle a travaillé la qualité de l’étoffe et du tombé, jouant sur la beauté du très classique pagne tissé, reçoit un bon accueil dans ce pays à 80 % musulman – et par-delà ses frontières.

Pourtant, son quotidien de fabricante est fait de débrouille, comme beaucoup d’autres entrepreneurs, qui font avec la réalité locale, animés d’une foi enthousiaste et d’un amour de leur pays. Sophie Zinga, la créatrice de la marque éponyme, qui défile à New York, Paris et ailleurs, a aussi choisi ce chemin pavé d’embûches et se souvient des galères pour réunir les compétences nécessaires à la fabrication de ses vêtements à son retour à Dakar, alors qu’elle pensait crouler sous l’offre de main-d’œuvre.

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Difficile donc de continuer d’avancer sans une formation plus institutionnalisée, alors que le pays va passer de 17 millions d’habitants aujourd’hui à 32,6 millions en 2050, et que l’économie a un besoin urgent de se développer dans ce pays où elle reste à 90 % informelle. « Dans tous les secteurs de l’artisanat, il devient urgent de former la jeunesse de façon plus organisée », plaide Aïssa Dione, à l’origine d’un projet très abouti d’Institut des métiers d’art à Damnadio, la ville nouvelle qui doit désengorger Dakar. L’exploitation imminente des gisements d’hydrocarbures au large du pays, en 2024, et les perspectives de développement qui font du Sénégal une des cinq économies les plus dynamiques du continent, avec des prévisions de croissance de 3,7 %, laissent penser que l’heure du changement arrive.

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Nombreux sont les artisans, artistes ou chefs de petites entreprises qui, comme elle, ont conscience que l’artisanat local doit permettre de créer une vraie filière. C’est aussi l’intuition du très influent stylisteBibi Seck, à qui l’on doit le design intérieur des voitures Scenic, Twingo II ou Trafic, qui répète que « l’industrialisation du Sénégal passera par l’artisanat ». Et pour ceux qui n’osaient pas imaginer qu’une partie de leur modernité puisse émerger des traditions revisitées, la venue de la marque aux deux C aura, de l’avis général, placé les projecteurs sur un écosystème déjà en pleine ébullition, à un moment où « nous avons passé les 60 dernières années à fournir notre matière première à d’autres », comme le répètent à l’envi des acteurs locaux, conscients qu’il n’y a plus de temps à perdre et qu’il faut « accéder à une économie de la création en retrouvant nos traditions». D’autant que l’exploitation imminente des gisements d’hydrocarbures au large du pays, en 2024 fait du Sénégal une des cinq économies les plus dynamiques du continent, avec des prévisions de croissance de 3,7 % dès cette année.

« En défilant ici, en y organisant des masterclasses, Chanel est venu nous rappeler que nous avons du talent, ce que nous avions peut-être un peu oublié. Alors maintenant, à nous de le valoriser », rappelle la cinéaste et styliste Selly Raby Kane, qui travaille à « changer les imaginaires ». Le terrain semble donc mûr dans cette capitale où les initiatives multiples se répondent et où émerge une bouillante fierté africaine.

Source: le monde Afrique

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