Interdits de circuler en Occident à cause de leur grande capacité de pollution atmosphérique, les véhicules d’occasion trouvent bon accueil au Burkina Faso, au Mali et au Niger comme dans plusieurs autres pays africains. Le phénomène se nourrit de l’absence de limitation de l’âge d’importation, le prix abordable et la faiblesse du coût des droits de douane.
Bertille Nikiéma ne pourra plus chérir ses deux enfants et s’occuper d’eux. Cette Burkinabè a succombé au cancer du sein le 21 juin 2020, malgré les ressources financières et les forces psychologiques qu’elle a mobilisées pour vaincre le mal. Elle a conté son combat pour la survie au Forum africain des femmes leaders (FAFEL) huit mois avant sa mort. Comme Bertille, des milliers de personnes meurent fréquemment du cancer au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Nombre de celles qui vivent encore subissent les assauts atroces de cette maladie, avec le corps irradié chaque jour ou des parties humaines amputées. 12 045 cas de cancer dont 8 695 décès ont été enregistrés au Burkina Faso en 2020, selon l’Observatoire Global de cancer (GLOBOCAN 2020). Au cours des cinq prochaines années, ce chiffre pourrait augmenter jusqu’à 18 884 cas : 12 418 chez les femmes et 6 466 chez les hommes.
Au Burkina Faso, le cancer est la deuxième maladie non transmissible la plus mortelle après les maladies cardio-vasculaires. Il absorbe plus de 60% du budget alloué aux évacuations sanitaires vers l’extérieur du pays, révèle le ministère de la Santé dans sa stratégie nationale 2021-2025 de lutte contre la maladie. Il précise que « la dégradation accélérée de l’environnement » contribue à sa prolifération. Dans une étude de la qualité de l’air à Ouagadougou, en 2007, le ministère de l’Environnement prédisait l’augmentation des cas de cancer et de maladies infectieuses respiratoires dès 2017. « Le nombre de cancers liés au benzène passera à 359 cas par an et les maladies infectieuses respiratoires à 49 000 cas », rapporte-t-il en indexant la pollution atmosphérique comme principale cause de sa prolifération. Les effets négatifs de la pollution de l’air sur la santé humaine font l’unanimité chez les scientifiques. « Les particules en suspension (PM2.5) pénètrent dans la circulation sanguine par les poumons, ce qui cause des problèmes d’allergies, des crises d’asthme et autres troubles cardiovasculaires. Il y a aussi la conjonctivite, les maladies des bronches, le cancer du poumon ou de la peau, les problèmes de vision, les maladies du sang et des complications dans le développement mental de l’enfant », soutient un médecin nigérien, Nana Aichatou Ibrahim. Elle ajoute que la pollution de l’air est la plus importante cause de décès prématuré des enfants. Dans sa thèse de doctorat intitulée « La pollution de l’air et les impacts sanitaires sur la population : cas de la ville Bamako », Yacouba Maïga souligne que les infections respiratoires aiguës constituaient en 2018 la deuxième cause d’admission à l’hôpital, derrière les cas de paludisme suspects ou avérés.
Pendant ce temps, la pollution atmosphérique continue d’augmenter. Au Burkina Faso, les émissions nationales des gaz à effet de serre (GES) sont en hausse depuis 1995. Elles sont passées de 36 648 gigagrammes à plus de 66 000 gigagrammes en 2015, soit une augmentation de 80 %, selon l’inventaire national des GES 2021, rapporté par la Contribution déterminée au niveau national (CDN 2021-2025). Le secteur de l’énergie est le deuxième plus grand pollueur après celui de l’agriculture et autres utilisations des terres. Ses émissions des GES sont passées de 1 115,45 gigagrammes en 1995 à 4 035,42 gigagrammes en 2015. Si le rythme de progression se maintient, ce secteur émettra 10 110,53 gigagrammes en 2030 et 31 016,58 gigagrammes en 2050, détaille l’inventaire national des GES 2021. Le ministère de l’Environnement affirme que la hausse des émissions des GES se justifie, en partie, par l’augmentation du parc automobile. Il n’a pas été possible d’obtenir des données récentes, c’est-à-dire après 2015 ni sur les émissions nationales des GES ni spécifiquement sur les GES émises par les véhicules d’occasion. Mais au regard du nombre croissant de ces véhicules à l’intérieur du Burkina Faso, nul doute que leurs émissions des GES aussi augmentent.
Selon le rapport State of Global Air 2020 publié le 16 novembre 2022, la pollution de l’air a atteint le seuil critique de 81,1 microgrammes de particules fines par mètre cube (m3) au Niger, ce qui est synonyme d’une place dans le top 5 des pays africains en termes de pollution atmosphérique. En effet, le pays fait partie, avec le Nigeria, l’Égypte, la Mauritanie et le Cameroun, des cinq pays les plus pollués en Afrique, indique HealthEffects Institute, un organisme de recherches basé aux États-Unis. « Nous avons appris que la concentration de polluants physiques dépasserait huit fois le taux recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui est de 10 microgrammes de particules fines par m3 », regrette Abba Hama, membre de l’Association nigérienne de lutte contre la pollution (ANLCP). Pour l’activiste de l’environnement, « cette pollution résulte des facteurs naturels comme la poussière mais est aussi liée à des faits humains comme la circulation automobile (…) ». L’Indice de la qualité de l’air en temps réel (AQI), montre, à la date du 29 décembre 2022, que la concentration de particules fines dans la ville de Bamako est de 100 microgrammes par mètre cube (µg/m³). Pourtant, l’OMS recommande 15 µg/m³ comme seuil de concentration pour une moyenne de 24 heures. D’après l’AQI, « les principales causes de la pollution de l’air extérieur sont les particules solides et liquides appelées aérosols et gaz provenant des émissions des véhicules, des activités de construction, des usines (…), etc.».
Le rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) sur le commerce mondial des véhicules d’occasion, publié en octobre 2020, détaille les impacts environnementaux de ces engins. Leurs émissions sont « une source importante de particules fines et d’oxydes d’azote qui sont les principales causes de la pollution atmosphérique urbaine », déclare le PNUE. Il soutient aussi que ces véhicules « entravent les efforts de lutte contre le changement climatique » de leurs pays de destination. Au Burkina Faso, « les risques climatiques projetés indiquent que la variabilité et les changements climatiques auront des répercussions négatives importantes et certaines sur les secteurs socio-économiques clés de développement, tels que l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’exploitation des produits forestiers », alerte le ministère de l’Environnement dans sa précédente CDN, celle de 2015-2020, considérée comme l’outil ultime de mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat.
Quand les faits étouffent les ambitions
Le Burkina Faso a décidé de réduire ses émissions de gaz à effets de serre de 18,2% à l’horizon 2030 et de 34,43% à l’horizon 2050. Déjà en 2007, le ministère de l’Environnement a proposé d’adopter la norme Euro parmi ses séries d’actions. A l’époque, les États de l’Union européenne étaient à la norme Euro 4. Entrée en vigueur en 2009, Euro 4 vise à limiter la pollution et ses impacts dans l’espace Schengen. Mais 15 ans après, cela n’est toujours pas effectif. Les lignes n’ont pas bougé à la hauteur des ambitions. Alors que les pays Schengen sont à leur sixième norme (Euro 6), depuis 2014, qui impose une réduction de 67% des gaz polluants -par rapport à Euro 5-, l’importation des véhicules d’occasion augmente d’année en année en Afrique de l’Ouest. Au Burkina Faso, elle est passée de 12 383 à 29 305 véhicules entre 2010 et 2021, révèlent Vincent Zoma, enseignant-chercheur à l’université Joseph-Ki-Zerbo et Ousseny Sigué du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) dans une étude intitulée Transport international de véhicules d’occasion entre le Burkina Faso et le Togo: un exemple de mondialisation par le « bas », publiée en juillet 2022 dans la Revue DJIBOUL.135 689 véhicules ont été importés au Mali entre 2018 et 2021, confie la Direction générale malienne des Transports.
Extrait des statistiques sur les véhicules importés au Mali de mai à décembre 2021
«Entre 75 000 et 85 000 véhicules d’occasion entrent chaque année au Niger», déclare un agent de la Société nigérienne de logistique automobile (SONILOGA). Mais «près de 50 000 de ces véhicules sont en transit vers d’autres pays comme le Tchad ou le Nigeria. Seulement 30 000 véhicules sont destinés au marché local », confie-t-il.
Selon plusieurs déclarants agréés en douane, couramment appelés transitaires, et les services de douane, le plus grand nombre de véhicules d’occasion importés dans ces trois pays ont plus de dix (10) ans. Dans son étude sur la qualité des véhicules usagés exportés en Afrique et publiée en octobre 2020, le département de l’environnement humain et d’inspection des transports des Pays-Bas note que la majorité des véhicules usagés importés en Afrique ont entre 16 et 20 ans et ne respectent pas les normes Euro 4 de l’Union européenne. Il souligne qu’environ 20% des véhicules à essence échouent à leurs tests d’émissions des gaz polluants. La direction générale des transports du Mali affirme que 8% des véhicules importés entre 2018 et 2021 sont âgés de huit à dix ans. 10% ont entre 11 et 15 ans et 62% sont âgés de 16 ans et plus. La douane malienne précise que des véhicules de 1980 ont rempli leurs formalités douanières en 2021. Ils venaient d’être achetés par des Maliens 31 ans après leur mise en circulation en occident.
Les véhicules d’occasion sont majoritairement importés de France, de l’Allemagne, de la Belgique et des Etats-Unis et entrent généralement dans ces trois pays par les ports de Lomé, de Tema, de Cotonou ou d’Accra. Jadis considérés comme objet de luxe et le signe extérieur de richesse, ils sont de plus en plus utilisés dans les pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Les Burkinabè ont dépensé entre 26 et 63 milliards de francs CFA pour l’achat de ces véhicules entre 2010 et 2021, affirment Vincent Zoma et Ousseny Sigué.
L’Institut national de statistique et de la démographie (INSD) du Burkina Faso explique l’ampleur de l’importation par différentes raisons dans son rapport sur le recueil de données statistiques des transports, publié en juin 2007. L’une, dit-il, résulte de la rencontre entre le marché des véhicules âgés d’Europe interdits de circuler à cause de leur grande capacité de pollution. Ne trouvant pas de preneur au niveau local, l’exportation devient une alternative à une mise à la casse. L’autre raison est que ces véhicules sont nettement moins chers par rapport aux véhicules neufs. De nombreux usagers interrogés avancent aussi le coût abordable pour justifier leur choix de payer les véhicules d’occasion. Au Burkina Faso, le prix de ces véhicules, âgés d’au moins dix (10) ans, varie généralement de 600 000 francs CFA à 4 000.000 de francs CFA d’après des données collectées chez des revendeurs à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Leurs coûts de dédouanement sont également très faibles comparativement à ceux des véhicules neufs. Ils dépendent du type, de la puissance et de l’âge de chaque véhicule. Il n’a pas été possible d’avoir un référentiel des droits de douane. Mais des entretiens avec des déclarants en douane agréés, il ressort que le dédouanement peut varier de 357 000 francs CFA à 677 000 francs CFA pour les véhicules âgés d’au moins dix (10) ans. Parfois plus.
Au Mali, le propriétaire d’un véhicule de type berline de 2012 paie 2 000 000 de francs CFA. Ceux de 2013, 2014 et 2015 déboursent respectivement de 2 500 000 francs CFA, 3 000 000 de francs CFA et 3 500 000 francs CFA alors que pour le même véhicule de plus de 10 ans, le propriétaire paie 1 500 000 francs CFA.
Au Niger, le gouvernement a opté de « réduire les frais de dédouanement et de permettre aux importateurs de solder leurs passifs et de s’acquitter convenablement de leurs formalités et opérations de dédouanement », informe le directeur général adjoint de la douane, Abou Oubandawaki. Selon lui, il est prévu un taux d’abattement de 35% sur la valeur résiduelle de tous les véhicules neufs et 65% sur les véhicules de moins de dix (10) ans. Des facilités sont aussi accordées aux véhicules de plus de dix (10) ans, ajoute-t-il, sans plus de détails.
Circulaire de la douane nigérienne relative à la réduction des frais de dédouanement
Dans chacun de ces trois pays, aucune réglementation ne limite l’âge d’importation des véhicules d’occasion. Il est encore moins question d’interdiction. « Même si tu te débrouilles pour emmener un véhicule de 100 ans, on va calculer les droits à payer », ironise le chef de la Brigade du Guichet unique malien pour le dédouanement des véhicules, Yacouba Cissouma. L’idée d’interdiction des véhicules de plus de dix (10) ans a germé au Burkina Faso il y a au moins sept ans. A la clôture de la session extraordinaire du Parlement, le 25 juillet 2016, le défunt président, Salifou Diallo, a demandé aux députés de réfléchir à une loi allant dans ce sens. Il évoquait la pollution de l’environnement et les accidents de circulation pour justifier la nécessité d’une telle loi. Mais il est mort sans que ce texte ne voie le jour. À l’occasion de la 9e édition des journées à faible émission de carbone, en mi-septembre 2021, le ministre des Transports, de la Mobilité urbaine et de la Sécurité routière d’alors, Vincent Dabilgou, a promis d’œuvrer pour la limitation effective de l’âge d’importation des véhicules d’occasion à dix (10) ans dès le 1er janvier 2025 comme le Ghana l’a déjà décidé. Il voulait ainsi mettre en application la directive de la CEDEAO, de concert avec son homologue de l’Environnement, à l’époque, Siméon Sawadogo.
Réunis les 6 et 7 février 2020 à Ouagadougou, les ministres de l’environnement et de l’énergie des pays membres de la CEDEAO ont exigé que les véhicules neufs ou d’occasion importés soient conformes au minimum des normes d’émissions de gaz à effet de serre équivalant à Euro 4 à partir de janvier 2021. Ils militent aussi pour la limitation d’âge des véhicules utilitaires légers d’occasion à cinq (5) ans ; et dix (10) ans pour les véhicules utilitaires lourds. La CEDEAO accorde un délai de dix (10) ans à tous ses membres pour mettre en œuvre ces restrictions, soit au plus tard en 2030. Mais pour l’instant, le Burkina Faso, le Mali et le Niger traînent les pas.
Enquête réalisée par Gaston
Bonheur SAWADOGO (Burkina Faso), Chiaka DOUMBIA (Mali) et Ibrahim Manzo DIALLO (Niger), avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)