Le candidat à la présidentielle ivoirienne, adversaire du chef de l’Etat, Alassane Ouattara, devait revenir dans le pays après six mois d’absence, mais son avion a finalement atterri lundi au Ghana.
C’est une journée dont Guillaume Soro se souviendra. Un mandat d’arrêt international a été émis, lundi 23 décembre, par la justice ivoirienne contre l’ex-chef de la rébellion et candidat à la présidentielle de 2020, pour « tentative d’atteinte à l’autorité de l’Etat et à l’intégrité du territoire national », a annoncé le procureur de la République Richard Adou sur la télévision publique ivoirienne.
Des « éléments en possession des services de renseignement » établissent « clairement que le projet devait être mis en œuvre incessamment », a affirmé le procureur, sans toutefois donner davantage de détails.
Guillaume Soro, ex-président de l’Assemblée nationale ivoirienne (2012-2019), est également visé par une information judiciaire pour « détournement de deniers publics, recel et blanchiment de capitaux portant sur la somme de 1,5 milliard de francs CFA » (environ 2,25 millions d’euros), a déclaré le procureur. « Quinze » de ses partisans « ont été arrêtés » lundi par les forces de l’ordre, dont le député Alain Lobognon, le bras droit de M. Soro, « mais pour des dossiers complètement différents », a précisé le magistrat.
Ex-allié d’Alassane Ouattara
Guillaume Soro, qui fut également premier ministre de 2007 à 2012, devait rentrer dans son pays après six mois d’absence. Alors que ce retour était impatiemment attendu par ses partisans pour lancer sa campagne électorale, il a finalement atterri lundi à Accra, au Ghana, selon Alain Lobognon, dont la conférence de presse improvisée a été suivie d’une intervention musclée des forces de l’ordre.
M. Soro a longtemps été le meilleur allié du président Alassane Ouattara, qu’il a fortement soutenu lors de la crise postélectorale de 2010-2011 avec l’appui des forces rebelles qu’il dirigeait. Alors qu’il avait été le premier ministre – entre 2011 et 2012 – de M. Ouattara, ses relations se sont peu à peu dégradées avec le chef de l’Etat qui voulait brider ses ambitions présidentielles, selon les observateurs, jusqu’à la rupture.
Âgé de 47 ans, ce chrétien du Nord ivoirien avait annoncé sa candidature à la magistrature suprême le 18 octobre. Les analystes politiques lui prêtent une certaine popularité et un soutien des jeunes dans le pays.
Signe de nervosité du pouvoir ? A Abidjan, lundi, les forces de l’ordre déployées en grand nombre avec du matériel antiémeute ont d’abord empêché les partisans de M. Soro et les médias d’accéder au terminal de l’aéroport, où son jet privé devait atterrir à 13 heures, heure locale.
Quelque « 800 hommes » des forces de l’ordre étaient mobilisés, dont des forces antiémeute, tous les 500 mètres, le long du trajet allant de l’aéroport au domicile de M. Soro, avec pour mission de « refouler tout individu se rendant [à l’aéroport] pour un éventuel accueil de l’ex-PAN [président de l’Assemblée nationale] », et d’« empêcher tout attroupement ou regroupement » sur le trajet, selon une note de la préfecture de police d’Abidjan transmise à l’Agence France-Presse (AFP). La confusion a régné sur la destination de l’avion de M. Soro.
Lacrymos et forces spéciales
Selon son parti, Générations et peuples solidaires (GPS), M. Soro a été « empêché » d’atterrir à Abidjan. D’après une source proche de la présidence ivoirienne, il a choisi lui-même de se dérouter sur Accra, pour éviter une « arrestation à son arrivée » dans la capitale ivoirienne.
M. Soro a été « empêché de rentrer dans son pays », où il devait « prendre sa place dans le processus électoral », a déclaré le député Lobognon. « Ni M. Soro ni ses proches ne sont informés de l’existence d’un mandat d’arrêt », a-t-il affirmé.
Le siège du parti GPS, situé dans une villa de la commune chic de Cocody, à côté de l’ambassade américaine, a été cerné par les forces de l’ordre. Des militants en sont sortis pour tenter de repousser les policiers et les gendarmes, qui ont riposté en tirant des gaz lacrymogènes.
Alors que les partisans de M. Soro s’étaient repliés à l’intérieur de la résidence, des hommes armés, cagoulés, certains en civil, d’autres en treillis, vraisemblablement des forces spéciales, ont alors forcé les portes du bâtiment et, secondés par des policiers et des gendarmes entrés à leur suite, ont contraint tous les occupants à sortir, ont constaté des journalistes de l’AFP. Des hommes des forces de l’ordre ont saisi les appareils de plusieurs photographes ainsi que des téléphones portables de reporters. Ils ont par la suite chassé tous les journalistes et les militants GPS de la zone.
Dix ans après la crise post-électorale de 2010-2011 qui avait fait 3 000 morts, la présidentielle d’octobre 2020 s’annonce tendue en Côte d’Ivoire. Les élections municipales et régionales de 2018 avaient été marquées par de nombreuses violences et par des fraudes.
En raison de la visite du président français, Emmanuel Macron, dans le pays le week-end dernier, les autorités ivoiriennes avaient interdit un meeting de l’opposition prévu samedi, et repoussé l’arrivée de M. Soro de dimanche à lundi.
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